Etude prospective sur les métiers et les qualifications de la déficience sensorielle et TSLA
AVANT-PROPOS
Les établissements et services médico-sociaux connaissent, depuis quelques années, des évolutions importantes, nécessitant une transformation de leurs modalités d’accompagnement afin de contribuer à une société plus inclusive permettant aux personnes en situation de handicap d’exercer pleinement leur citoyenneté.
Le cadre législatif règlementant l’activité des établissements médico-sociaux a profondément évolué ces quinze dernières années. Mais c’est surtout la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui implique une forte restructuration du secteur. Elle instaure, en effet, le droit à la compensation du handicap et implique la mise en œuvre d’une véritable inclusion des personnes handicapées, en commençant par les plus jeunes d’entre eux.
En 2014, le rapport Piveteau, « Zéro sans solution », a abouti à la mise en place de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous » qui modifie profondément le rapport des usagers aux établissements médico-sociaux. Cette démarche amène les pouvoirs publics, les associations et les professionnels à proposer une offre d’accompagnement adaptée à toute personne ayant fait l’objet d’une reconnaissance administrative de son handicap, dans une logique de continuité de parcours et de réponses globales.
La transformation de l’offre médico-sociale engage une évolution des métiers de l’accompagnement qui demande à être anticipée et structurée. En effet, les professionnels de l’accompagnement sont amenés à travailler et à être en contact avec des interlocuteurs pluriels. Ce qui les amène à mobiliser leur expertise d’une façon différente et pas seulement dans l’accompagnement direct.
L’objectif est double ; celui de renforcer cette expertise médico-sociale en l’élargissant à ces nouvelles missions mais aussi d’accompagner les professionnels dans leur acculturation à de nouveaux domaines d’interventions et à de nouveaux interlocuteurs.
Le système de formation qui alimente les métiers du secteur médico-social du handicap connait également d’importantes évolutions, avec notamment le processus d’universitarisation des filières sanitaires et sociales ou les récentes réformes de l’architecture des formations en travail social.
L’enjeu pour la FISAF, représentant les professionnels spécialisés des troubles sensoriels et des troubles des apprentissages (DYS), est de déployer une démarche prospective continue sur les évolutions des métiers, des missions et des qualifications. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés depuis plusieurs mois dans cette réflexion et dans l’élaboration de référentiels d’activités et de compétences, en lien avec nos professionnels de terrain référents.
PREAMBULE
Cet exercice de prospective autour des Métiers, des Qualifications et des Compétences constitue une première étape. Il vise à dessiner les grandes tendances d’évolution des emplois, des métiers, des activités et des niveaux de qualification dans le secteur sensoriel et TSLA afin d’alimenter la réflexion du Conseil d’Administration de la FISAF et des partenaires institutionnels dans l’élaboration et la refonte des conventions collectives nationales 66 et 51 et de leurs politiques de formation et d’emploi.
RETOUR SUR LES RESULTATS : QUELS ENSEIGNEMENTS ?
Le but de l’enquête « Prospective Métiers et Qualifications » 2019 est d’identifier les missions spécifiques du secteur sensoriel et TSLA indispensables aux métiers existants aujourd'hui et de définir les formations qualifiantes en déclinaison de ces nouveaux métiers ainsi que les compétences requises.
Les objectifs suivants étaient poursuivis dans le cadre de l’enquête par questionnaires auprès des adhérents à partir d’octobre 2019 :
- Accroitre la lisibilité des adhérents sur les enjeux du secteur, sensibiliser sur les enjeux croisés, alimenter les projets communs et favoriser in fine la reconnaissance dans les CCN 66 et 51.
- Orienter l’offre de service à destination des adhérents et des salariés sur les problématiques emploi formation du secteur et les nouvelles problématiques émergentes.
- Actualiser la stratégie emploi formation du secteur dans une logique de GPEC.
Les principales tendances se déclinent ainsi :
- L’émergence deux fonctions, l’une liée à la fonction-ressources, l’autre liée à la coordination;
- La nécessité d’intégrer les nouvelles technologies (TIC) dans les évolutions des métiers, des compétences et des formations;
- La proposition de construction d’un tronc commun de formation pour l’acquisition des techniques d’adaptation et de compensation;
- La remise en cause de la formation CAEGA-DV, voire du CAPEJS-DA;
- La création d’un profil métier d’interface plus « généraliste »;
- L’accroissement et la généralisation des missions et des activités de conseil et d’accompagnement, notamment dans le champ de l’insertion et de l’emploi;
- Une meilleure reconnaissance du statut et des compétences des professeurs LSF et de braille;
- Et enfin, l’importance de l’approche par les missions et les compétences (plutôt que par métiers) et la nécessité de les re-questionner.
ANALYSE DES RESULTATS PAR PUBLICS ACCOMPAGNES
Les professionnels du travail social sont nombreux à travailler dans les établissements médico-sociaux. Les éducateurs spécialisés, les moniteurs-éducateurs, les aides médico-psychologiques et les éducateurs techniques spécialisés forment les contingents les plus importants parmi les personnels assurant le suivi socio-éducatif des personnes en situation de handicap.
Les évolutions qui touchent l’ensemble du secteur vont impacter de façon différenciée les métiers du social par rapport à ceux du sanitaire. Le « virage inclusif », en cherchant à répondre aux besoins des personnes handicapées et à leurs projets, assouplit et individualise les parcours et les réponses apportées, et privilégie le développement des services au dépend des établissements.
De nouvelles modalités d’accompagnement sont valorisées, notamment le développement des services « à domicile » ou en milieu ordinaire. Ce développement implique des temps de travail plus fragmentés et le renforcement de certains acteurs (secteur libéral) ou le développement de l’auto-entreprenariat pour certains métiers du secteur.
Néanmoins, ces nouvelles modalités d’accompagnement confortent le rôle central des établissements médico-dans ces nouveaux dispositifs, tant dans la coordination et le suivi des parcours que dans la mise en œuvre de logiques pluridisciplinaires d’intervention, ancrées sur l’ensemble des territoires.
Nous avons identifié plusieurs sous-ensembles que nous avons regroupés par types de handicap sensoriel et / ou par les missions dédiées à l’accompagnement des personnes handicapées.
1. La déficience visuelle : métiers, activités et compétences
1.1 Enseignement / formation
Enseignement spécialisé auprès des personnes DV
Dans le cadre de la scolarisation inclusive, on constate que les missions des enseignants spécialisés se transforment et s’orientent vers des missions « d’intervenant pédagogique » avec un rôle d'expertise et de conseil auprès des enseignants et des AESH (entre autres) du milieu ordinaire en termes de techniques adaptatives, d'outils informatiques spécialisés, de méthodologies spécifiques, d'organisations adaptées aux publics accompagnés…
Les directions consultées, notamment en commission scolarisation, sont réticentes à envoyer leurs professionnels en formation CAEGA-DV au CNFEDS - Université Savoie Mont Blanc. La formation pédagogique CAEGA-DV est considérée comme « obsolète » par la grande majorité des répondants concernés (elle n’est toujours pas Masterisée et n’est pas reconnue au RNCP).
Certains établissements orientent vers des parcours de formation parallèle pour pallier les lacunes de la formation CAEGA-DV actuelle (notamment par les Masters MEEF ou par les formations de spécialisations dispensées pour l’INSHEA dans le cadre du CAPPEI). D’autres élaborent des référentiels de formation à la scolarisation inclusive DV pour proposer de nouveaux cursus de formation à leurs enseignants.
Une reconnaissance est attendue de niveau Bac+5 / Master 2 pour les professionnels titulaires du CAEGA-DV.
Enseignement du braille
En l’absence d’une nouvelle ingénierie de formation du CAEGA-DV, les répondants pointent une vigilance sur la reconnaissance des compétences pédagogiques des professeurs de braille. Il conviendrait de proposer une certification de niveau III pour donner un accès par la voie de la VAE.
Outils numériques adaptés
Informaticien en informatique adaptée (Nécessité d'une maitrise des outils techniques et technologiques liés à la compensation du handicap visuel).
Formateur en informatique et outils de communication (Veille technologique).
1.2 Les fonctions liées aux techniques d’adaptation et de compensation
Le contexte actuel du secteur, conjugué à la Réforme de la formation, nécessite des changements en profondeur, y compris en termes d’architecture et d’ingénierie des formations, lesquelles devront davantage s’inscrire dans les logiques de certification.
A titre d’illustration, nous pouvons citer le nouveau référentiel « Instructeur en Autonomie en Déficience Visuelle » (IADV regroupant les formations d’instructeur en locomotion et d’Avjiste) et sa demande d’inscription au RNCP, ou encore l’ICACS (Intervenant conseil en accessibilité et compensation sensorielles).
Ces changements questionnent les structures sur l’évolution des activités et des compétences.
Les résultats de l’enquête indiquent clairement que les structures recherchent des professionnels polyvalents tout en disposant d’une expertise sur les troubles sensoriels et Dys. Ils questionnent sur l’élaboration d’un bloc de compétences commun à ces différents métiers.
2. La déficience auditive : métiers, activités et compétences
2.1 Enseignement / formation
La formation CAPEJS, alors même qu’elle a fait l’objet d’une masterisation et d’une reconnaissance au RNCP par la DGCS, est parfois re-questionnée par les adhérents. Certains suspendent l’envoi de professionnels en formation CAPEJS (dispensée par le CNFEDS - Université Savoie Mont Blanc) ; les contenus formatifs (malgré l’actualisation récente du référentiel) ne semblent pas toujours correspondre aux besoins rencontrés sur le terrain, notamment dans le cadre des « accompagnements inclusifs » en scolarisation ordinaire.
La formation et le statut des interprètes LSF interrogent également les professionnels. Avec quel diplôme (master/DU) et à quel niveau pourrait-on intégrer ces professionnels dans les grilles des CCN ?
2.2 Communication et accompagnement
L’analyse des réponses nous permet de constater une situation identique de mutualisation des savoirs et des compétences à celle qui est présentée dans la partie 1.2. En effet, selon les établissements et services, les 3 métiers spécialisés que sont celui d’interprète, d’interface de communication et de codeur LPC sont remodelés, mixés, adaptés pour répondre à un contexte qui nécessite des évolutions dans les pratiques et les accompagnements.
A titre d’exemple,
- Deux structures ont fusionné les métiers Interprète / interface / codeur pour répondre à une dimension scolaire spécifique - avec une intervention dans la scolarité des élèves accompagnés ((nécessite de solides connaissances langagières (notamment LSF) et culturelles (culture générale, culture sourde) + une Licence codeur LPC))
- Une autre structure a créé un « médiateur relais sourds/malentendants » qui est davantage qu’un interprète ou un interface parce qu’il présente un volet social plus important (niveau Bac+4 exigé)
- Une structure souhaiterait un « interface de communication généraliste » pouvant intervenir sur la LSF, le LFPC et l’oral et capable d’utiliser tous les outils de communication pour interagir avec la personne.
Le métier d’ICACS, à un niveau moindre que pour les DV, et en travaillant sur une nouvelle ingénierie de formation, pourrait répondre aux besoins de développement de compétences sur des métiers / spécialités tels que :
- « Conseiller en aides techniques » ou « Technicien en aide technique pour la compensation et accessibilité ».
- « Chargé d’appui conseil en surdité » qui pourrait être un « interface » de communication chargé de l’évaluation des besoins de la personne DA
3. Les troubles TSLA : métiers, activités et compétences
Dans le cadre de l’enquête réalisée, nous avons peu de retour, à cette étape de la réflexion, sur les métiers, les qualifications, et les compétences spécifiques aux troubles TSLA (DYS).
Cependant, nous savons que près de la moitié de nos structures adhérentes accompagnent ces publics alors que les métiers dédiés et les qualifications corrélées sont inexistantes. En outre, les personnes « Dys » accompagnées dans notre réseau ne sont plus seulement des personnes atteintes de dysphasie (dont les modalités d’accompagnement peuvent être proches de celles dédiées aux personnes sourdes) mais des personnes avec des problématiques Dys beaucoup plus larges (dyslexie, dyspraxie…) et qui parfois se cumulent.
Enfin, la commission « Dys » de la FISAF, composée d’une quinzaine d’établissements et services « Dys », a fait des questions de formations et de qualifications adaptées un sujet majeur de travail.
4. Les missions transversales émergentes aux 3 publics (DA, DV, TSLA) : métiers, activités et compétences
- Coordonnateur de parcours DA et DV. La fonction est actuellement assurée par les éducateurs spécialisés mais nécessite une formation complémentaire en conduite de projet. Il existe de nombreuses formations proposées mais aucun référentiel commun.
- Référent et coordonnateur Recherche et Développement (formation à la recherche scientifique)
- Chargé d’insertion et/ ou conseiller en insertion socio-professionnelle
- Chargé d’insertion en CRP DV et DA : Métier existant dans la CCN 51 mais trop restrictif. Il semble nécessaire d’aller vers un métier orienté vers du conseil et de l’accompagnement, quel que soit le handicap, avec de nouvelles modalités pédagogiques et en introduisant différentes modalités de formation.
D’autres évolutions ont été évoquées par les équipes d’encadrement et de direction ayant participé à la présente enquête. Il s’agit :
- De la réorganisation des plateaux techniques et de la refonte des organigrammes, avec la mise en place de postes de coordonnateur de projets et de coordonnateur de parcours.
- D’une fonction-ressources à la fois auprès des personnes et de leur « environnement » et auprès des acteurs du milieu « ordinaire ».
- D’évolutions se rapportant aux pratiques des professionnels : mise en place d’un plan de qualification-formation des professionnels, diversification et élargissement des missions et outils des professionnels de l’accompagnement, développement de la mission de coordination pour les éducateurs spécialisés, évolution des plannings…
- De la mise en place d’outils internes visant à renforcer le processus de conformité au cadre juridique (commission interne, outils de veille), d’outils de gestion financière et comptable (mise en place d’un EPRD).
- D’un travail interne autour de la participation et du respect des droits des personnes accompagnées et de leurs aidants (participation à la vie institutionnelle, travail sur la conformité vis-à-vis du cadre juridique définissant les droits des personnes).
- D’une transformation des agréments à la place (dispositif intégré) ou de la fermeture de certains services, de la modification des locaux ou de la création d’antennes territorialisées afin de répondre aux besoins des personnes dans une notion de proximité renforcée.
CONCLUSION
Les résultats montrent que le secteur continue à s’adapter à une demande d’accompagnement médico-sociale plus importante, plus complexe et sous une contrainte budgétaire de plus en plus prégnante. Dans cet environnement, les établissements se rassemblent, coopèrent, proposent des cadres d’intervention plus ouverts et se mobilisent pour améliorer l’accompagnement des personnes, soutenus par des professionnels investis mais parfois fortement impactés dans leur exercice professionnel par les « nouvelles » modalités d’accompagnement.
Poussés par ces tendances, les métiers et emplois sont questionnés. De nouvelles compétences, de nouvelles « postures » et identités professionnelles émergent, entraînant pour le secteur autant de défis à relever.
Les emplois évoluent pour mieux s’ajuster aux besoins des personnes accompagnées.
Notre analyse pointe des vigilances pour certains métiers cités lors de l’enquête qui, aujourd’hui, ne peuvent être considérés comme des métiers émergents mais qui sont des métiers existants qui nécessitent de « ré-interroger » le parcours de formation existant ou d’intégrer un module de formation complémentaire sur la déficience sensorielle et TSLA (psychologue, neuropsychologue, éducateur spécialiste de la petite enfance, …).
Les « éducateurs » voient leurs tâches se modifier. Ces professionnels, dans le cadre de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous » et du suivi des projets individuels des usagers, sont amenés de plus en plus à remplir un rôle de coordination entre les différents services, établissements et professionnels pluriels qui sont amenés à répondre aux besoins des personnes handicapées. La coordination de parcours et la gestion de projets, y compris complexes, avec de multiples acteurs, constituent les missions fondamentales de ces professionnels, dans des logiques plus transversales.
Les fonctions « ressources » des professionnels du médico-social seront fortement développées sur les territoires auprès des acteurs du milieu ordinaire. Ce qui nécessitera des formations spécifiques, de nouvelles certifications, ainsi qu’une reconnaissance dans les conventions collectives, dans le cadre notamment des « critères classants ».